Abbatiale d'Airvault

Dans la page d'accueil de ce site, nous faisons la promotion d'un livret consacré à l'abbatiale d'Airvault. Afin de ne pas faire d'erreurs, nous avons fait appel à Marie-Thérèse Camus, professeur honoraire de l'Université de Poitiers pour superviser notre travail.

Nous avons fait sa connaissance et celle du photographe Jean-François Amelot grâce un livre qu'elle a écrit avec Elisabeth Carpentier : Sculptures romanes du Poitou, le temps des chefs-d’œuvre. 


Cet ouvrage fait partie des  « beaux livres »  aux éditions  Picard ;  le livre est en effet  un objet magnifique  et son contenu ne l'est pas moins  :  les auteurs  nous proposent une promenade virtuelle  à travers la sculpture romane  dans le Poitou. Voici les premières lignes  écrites par Jacques le Goff qui signe la préface de ce livre  :


«  De cet ouvrage, on admirera la belle illustration  car l'art a légué d'abord  des images à l'histoire,  mais on lira aussi  avec grand intérêt le texte qui précisément  ne se limite pas  à une étude d'histoire de l'art mais qui replace  les produits les plus originaux de l'art médiéval, les sculptures,  dans le cadre géographique,  politique et social qui fait de ces images,  des documents essentiels de l'histoire globale d'une société. »


 


 


 


 


 


 


 

 

 

 

 



La belle illustration  dont parle  Jacques le Goff  est due  à Jean-François Amelot  qui a réalisé pour ce livre  près de  600 photographies  dont chacune est une œuvre d'art. On pourra en voir quelques unes en cliquant ICI

 Quant aux textes,  ils sont le résultat d'une somme de connaissances  et de travail  qui laissent pantois  mais instruit. L'abbatiale d'Airvault  a bien sa part dans ce livre.


À titre d'exemple voici un texte extrait de ce livre. A propos du chapiteau évoquant un enterrement, les auteurs y évoquent la mort au Moyen Âge et les soins que l'on produisait aux défunts :

 


 


 

« L’idée de la mort est omniprésente dans l’idéologie qui sous-tend la sculpture romane. Toute vie humaine se termine par la mort, parce que la mort est le salaire du péché commis par Adam et Eve ; dès la génération qui suit l’expulsion du paradis terrestre, surgit la mort violente dans le crime de Caïn qui tue son frère Abel. Mais la mort du Christ suivie par sa résurrection affranchit  l’homme pécheur de la mort éternelle. La mort terrestre du chrétien n’est qu’un passage, transitus, vers l’Au-delà et il ressuscitera avec son corps au dernier jour.

Les hommes du Moyen Âge ont toujours été partagés entre deux attitudes en ce qui concerne le corps des morts : le mépris pour une enveloppe charnelle destinée à pourrir en terre et le « devoir d’humanité » envers un corps destiné à revivre à l’image du corps glorieux du Christ ressuscité. Ce devoir d’humanité était déjà recommandé par saint Augustin dans son traité De cura gerenda pro mortuis (Des soins à rendre aux morts) qui a inspiré tout le Moyen Âge en la matière.

Sur les soins à rendre aux morts, la sculpture romane du Poitou est très discrète : pas de toilettes funéraires, pas de scènes de lamentations, pas d’office à l’église, pas de cimetières… Mais deux images fortes qui nous introduisent dans de temps important des cérémonies mortuaires, même si ces images ne concernent, à l’évidence, que des milieux très particuliers.

La première image figure sur un chapiteau d’Airvault que nous avons déjà évoqué … il s’agit de la procession qui va conduire vers l’église ou vers le cimetière un moine ou un chanoine défunt. Sur la partie gauche du chapiteau, deux frères, en tête, tiennent l’un une croix de procession montée sur une hampe de bois, l’autre un seau d’eau bénite et un livre. Sur la partie centrale, deux autres frères portent sur leurs épaules les bras du brancard sur lequel repose le défunt ; celui-ci, le visage à nu, est recouvert d’un grand drap aux larges plis qui tombe presque jusqu’à terre. À droite, l’abbé, tenant la crosse et un livre, clôt la procession. Scène ordinaire de l’enterrement d’un moine ou d’un chanoine ordinaire, réduite à ses éléments les plus significatifs : la croix en tête du cortège, la présence des autres frères et de l’abbé qui assiste tous à la mort d’un frère et aux cérémonies qui suivent jusqu’à l’inhumation ; l’importance du livre porté devant et derrière le défunt, probablement un psautier d’où sont tirées les oraisons qui accompagnent toutes les étapes de la liturgie funéraire ; l’eau bénite enfin qui témoigne de la nécessité de purifier et de respecter le corps du défunt.

Les religieux d’Airvault étaient des chanoines qui suivaient la règle de saint Augustin. Mais cette scène ne peut manquer d’évoquer les chapitres consacrés à la maladie et à la mort des moines dans le Coutumier d’Ulrich rédigé à Cluny vers 1080. Il y est question de la toilette du défunt : « Il est emporté dans le petit portique où on le lave. Seuls peuvent le porter, le laver et le déposer au sépulcre des frères qui sont ses semblables. Pendant la toilette, tous les laveurs qui savent les psaumes ne doivent cesser de psalmodier… ». Revêtu de sa tunique et de sa coule et recouvert d’un suaire, le corps, encensé et aspergé d’eau bénite, est déposé sur un brancard et conduit à l’église en procession. Derrière la croix s’avancent les différents groupes de la communauté monastique. Après les cérémonies dans l’église, la procession se reforme, les enfants, les novices et les convers marchant en tête, précédés de la croix. Arrivés au cimetière, les moines se disposent en couronne autour de la tombe et l’on procède à l’inhumation.

Le développement de l’archéologie médiévale nous a beaucoup appris, ces dernières décennies, sur les modes d’inhumation au Moyen Âge. Aux XIe et XIIe siècles, les morts sont enterrés dans un cimetière adjacent à l’église, seuls quelques privilégiés, ecclésiastiques et même laïcs, pouvant être inhumé à l’intérieur de l’édifice. On ne connaît pas encore le cercueil. Les morts sont donc transportés sur un brancard d’où le corps est retiré pour être inhumé. Soit le défunt est déposé au cimetière dans un espace délimité, à la forme du corps, par des pierres et/ou des planches, recouvert ou non de dalles : ce sont les sépultures dites « à caisson ». Soit, mais il s’agit de privilégiés, le défunt est déposé dans un tombeau de pierre, de marbre ou de plâtre, héritier direct des sarcophages antiques, tel celui dans lequel est déposé Abel sur un chapiteau de Benet. Le chanoine du chapiteau d’Airvault, comme l’immense majorité des hommes de ce temps, était sans doute destiné à être enterré dans le cimetière proche de l’église. Mais son abbé, Pierre de Saine- Fontaine, repose dans un magnifique tombeau situé à l’intérieur de l’abbatiale.  »

Symboles dans l'art roman

 

Parmi les chapiteaux historiés qui décorent la nef, beaucoup restent mystérieux, à l'exemple du duel décrit dans la page consacrée à la nef. Il en est d'autres que nous avons montrés à Anne et Robert Blanc alors qu'ils photographiaient les chapiteaux de notre église en 1990.

Ces deux personnes ont parcouru de nombreux édifices romans pour en photographier les chapiteaux, faire des recoupements, établir des caractères communs pour se forger des clés de lecture. Ils ont écrit plusieurs livres dont : « Nouvelles clés pour l'art roman » chez Dervy-Livres. Les deux auteurs prétendent que ces chapiteaux historiés ont été sculptés pour l'édification morale et religieuse du chrétien. Là où d'autres voient une scène de rue avec un contorsionniste, eux voient un personnage qui opère un retournement, autrement dit, une conversion. Nous avons cela à la croisée du transept, côté sud.

 

 

Intéressés par la démarche de Robert Blanc, nous lui avons demandé de nous commenter le chapiteau suivant :

Un personnage central tire une langue bien visible. Il est menacé par deux animaux maintenus à l'écart par deux personnages de chaque côté du chapiteau.

« Le personnage central tire la langue : c'est une image très courante que j'ai photographiée dans bien des églises. La langue tirée est un moyen de nous signifier que ce personnage parle et lorsqu'on parle dans une église, c'est souvent pour prier.

Si vous voulez bien admettre que les deux personnages latéraux et le personnage central peuvent n'être qu'une seule et même personne, alors, ce chapiteau prend un sens : par sa prière, l'homme maîtrise sa part d'animalité. »

À propos des barbes mises en évidence, Monsieur et Madame Blanc font l'hypothèse suivante : « La tunique de peau dont parlent les Écritures et que l'homme revêt en sortant du Jardin, c'est l'apparence extérieure de notre corps matériel après la Chute, et cette tunique de peau porte des poils. Chez l'homme elle se complète d'une barbe et de moustaches. Autrement dit, la barbe est utilisée par l'imagier roman pour nous rappeler, d'une autre manière, notre condition d'hommes de la Chute.»

La photo nous montre une des consoles de la nef ; elle était surmontée d'une statue aujourd'hui disparue.


Relations avec les bestiaires

Dans le déambulatoire, proche du chapiteau consacré à Adam et Eve se trouve cette image grossièrement sculptée en haut d'une double colonne représentant, nous semble-t-il deux éléphants emmêlant leurs trompes. Voici un texte tiré d'un bestiaire du Moyen Âge qui fait clairement  le lien entre ces animaux et Adam et Eve :

 

De la nature de l'éléphant


Il existe une bête appelée éléphant. De cet animal, Physiologue a dit qu'il possède une grande intelligence. Quand arrive le temps où le mâle est pris du désir de procréer, il se dirige vers l'Orient avec sa femelle, près du Paradis où naquit Adam. Là se trouve un arbre qui est appelé mandragore. La femelle mange la première du fruit de l'arbre, puis elle en donne au mâle afin qu'il en mange aussi. Aussitôt qu'il en a mangé, tous deux s'accouplent, et immédiatement la femelle conçoit. Quand arrive l'époque où elle doit mettre bas, elle se rend au bord d'un étang, et entre dans I'eau jusqu'à la hauteur des mamelles; et c'est là, dans I'eau, qu'elle enfante, par crainte du dragon qui perpétuellement la guette, car s'il trouvait la femelle hors de l'eau, il la dévorerait. Le mâle ne se sépare pas d'elle aussi longtemps qu'elle est en train de mettre bas, et il veille sur elle par crainte du serpent.
Ces deux éléphants, le mâle et la femelle, sont à l'image d'Adam et d'Eve, qui étaient au Paradis avant d'avoir mordu la pomme, environnés de gloire, tout à fait ignorants du mal, n'éprouvant ni convoitise, ni désir d'union charnelle. Lorsque l'épouse d'Adam mangea de la pomme cueillie sur l'arbre défendu, elle en donna à son mari. Dès qu'il en eut mangé, ils furent chassés hors du Paradis, et jetés dans l'étang rempli de toutes sortes d'eaux, c'est-à-dire en ce monde, qui est plein d'une multitude d'adversités, de maux et de tourments. C'est pourquoi David déclare :" Sauve-moi, Seigneur, car les eaux pénètrent jusqu'à mon âme. " Et ailleurs, il dit encore :" Plein d'espérance, j'ai attendu le Seigneur Dieu; il m'a entendu et m'a regardé, il a écouté mes paroles, et il m'a tiré hors du lac de misère..."